Retour à la case départ

Il faisait froid et il pleuvait quand Lancel atteignit enfin le village de son pays d'origine. L'eau collait ses cheveux blonds à sa peau pâle. Quelque part, la météo s'accordait à son état d'esprit: déprimant, déprimé, vide et gris. La seule lueur dans son âme était le fait que sous peu, Elora serait libre et elle pourrait rentrer au royaume d'Ariel. Il allait retourner dans l'antre des lions où il serait vu en renégat, si on ne décidait pas de le tuer avant pour l'affront.

Oncle Tywin ne me fera pas exécuter. S'il n'a pas d'affection particulière pour moi, je sais qu'il aime sincèrement mon père. Et Père m'aime. Me tuer serait le tuer et cela, Oncle Tywin ne l'autorisera jamais.

Jadis, l'idée d'être épargné l'aurait soulagé. Or, désormais, la mort lui semblait être une douce amie salvatrice, briseuse de chaînes et douce berceuse qui mettrait un terme à ses tourments. Regrettait-il son départ avec Elora? Non. Clairement non. Il était prêt à mourir pour avoir osé vouloir être heureux, ne serait-ce qu'un court instant dans sa vie brève et pitoyable. Pendant les cinq jours qu'il avait mis pour arriver ici, il s'y était préparé.

Shamee remontait avec difficulté le chemin qui menait à sa demeure, souffrant de toutes les blessures de son corps, du poids du panier qu’elle tenait dans les mains, mais surtout souffrant de sa propre culpabilité. Car si elle avait été envoyée au marché ce matin, c’était uniquement parce qu’elle avait démérité. Elle en était consciente. Même si à huit ans, peu de personnes se seraient entendues appeler aussi brusquement sans laisser échapper ce précieux vase, Shamee savait qu’elle n’avait aucune excuse et que son père avait eu raison de la punir.

Son père avait toujours raison, de toute manière, comme tous les hommes. Et Shamee était tellement désolée. En temps normal, elle n’aurait pas eu à aller au marché. D’ailleurs, avec sa mère, elles n’avaient pas à se charger des tâches subalternes, elles devaient être capables de faire obéir la domesticité et être dévouées aux hommes de la maison. Outre cela, elles étaient de noble naissance et ne devaient pas s’abaisser à fréquenter des domestiques. Mais ce n’était pas la première fois que Shamee dérogeait à cette règle et ce, sur ordre express de son père.

En effet, quand Shamee ne se conduisait pas comme il convenait, elle était punie. Bien entendu, son père la frappait pour lui faire se souvenir qu’elle avait mal agi, mais il poursuivait en lui faisant faire le travail des subalternes et ce, pour une bonne raison. Si Shamee désobéissait de façon excessive, elle serait vendue à une autre famille noble et ces tâches occasionnelles deviendraient quotidiennes. Shamee le savait et elle savait que cet ordre était un début de déchéance pour elle. C’était ce qu’elle ne supportait pas.

Toute à sa honte, elle ne vit pas Lancel arriver en tournant au coin de la rue et elle se heurta brutalement à lui. Elle tomba aussitôt sur le sol et son panier se renversa, laissant échapper une partie de son contenu, pommes de terre, carottes et navets pour la soupe. Quand Shamee vit que c’était un homme qu’elle avait bousculé, elle porta une main à ses lèvres et poussa un cri d’horreur.

« Pardon, Monsieur, je suis désolée de vous avoir bousculée. »

Consciente qu’il allait être obligé de la punir, elle se tourna vers son panier, sans savoir si elle avait le droit d’aller ramasser ou non ses légumes.

« Pardon, Monsieur, je suis désolée de vous avoir bousculé. »

Lancel fut légèrement saisi et vit alors une fille, qui devait avoir peut-être une dizaine d'années. Son panier était à terre, ainsi que son contenu.

Mais quelle idée que d'envoyer une enfant faire les courses par ce temps!

La pauvre semblait parfaitement désolée, presque apeurée à l'idée qu'il ne lui fasse quelque chose pour se venger. Elle lui faisait mal au coeur, vraiment. Il se força à sourire, ne serait-ce que pour elle. Il était peut-être condamné, mais il pouvait toujours soulager autrui. C'était dans des moments comme ceux-là que l'on pouvait voir la vraie noblesse d'âme, selon sa mère.

Oh, Mère, vous auriez bien honte de votre fils. Je n'ai rien de noble.

« Ce n'est rien. C'est en partie de ma faute, je n'étais pas très attentif. »

Il se baissa et remit les légumes de la fillette dans son panier avant de le lui tendre.

L’homme ne la frappa pas, il ne la gronda même pas. Il fit comme si son geste n’était rien, comme si elle ne venait pas de bousculer un homme mais simplement de croiser sa route. Shamee était stupéfaite. Elle se demandait qui était cet homme étrange qui ne la punissait pas et ne la grondait pas. Mais lorsqu’il alla ramassa ce qui s’était éparpillé, elle réagit aussitôt. Ce n’était pas à cet homme de faire ce travail. Ne sachant exactement comment exprimer qu’il fallait qu’elle les ramasse et pas lui, elle partit sur une interprétation abracadabrantesque de la situation.

« Je suis désolée que tout ce désordre vous dérange, Monsieur, laissez-moi ramasser tout cela ! »

Mais il était trop tard et son interlocuteur avait fini. Il lui tendait d’ailleurs le panier plein. Shamee en fut aussitôt rouge de honte. Elle avait forcé un homme à faire les choses à sa place, tellement elle était peu douée. Baissant les yeux, prenant le panier dans ses petites mains d’enfant, elle afficha un air penaud.

« Je vous remercie, Monsieur. Je m’excuse de ce que mon incompétence vous ait contraint à ramasser les courses. »

« Je vous remercie, Monsieur. Je m’excuse de ce que mon incompétence vous ait contraint à ramasser les courses. »

Pauvre enfant! Décidément, elle n'avait pas l'air d'être une petite choyée. Elle respirait la peur, comme lui jadis, quand il servait Robert et ses cousins Lannister.

« Ne t'excuse pas, tu ne l'as pas fait exprès, il n'y a aucun mal. »

Il essayait de se montrer gentil et chaleureux, pour qu'il y eut au moins quelqu'un comme ça dans sa journée. Il aurait tant aimé faire plus! Mais il avait son propre destin à accomplir et il était sans doute sombre. De plus, les dieux semblaient l'avoir mis au monde pour qu'il trahisse toutes les personnes avec lesquelles il finissait par tisser des liens et plus importants ils étaient, plus la trahison était rude. Il était impuissant pour changer sa propre vie alors pour changer la vie d'une autre... Cela en était risible et pathétique à souhait, Cersei s'en repaîtrait sans doute. Il n'était qu'un faible et un fou, Tyrion avait raison. Il se rappela néanmoins la fin de sa phrase " Mais il ne mérite pas ce que Cersei et moi lui faisons subir ". Cela était peut-être vrai. Mais cela n'était pas la réalité.

C’était vraiment un homme très étrange. C’était bien la première fois qu’on disait à Shamee qu’elle n’avait rien fait de mal, encore plus après qu’elle eut fait des bévues comme bousculer un homme, renverser des courses, mécontenter la gent masculine. Shamee garda la tête baissée ne sachant que dire et que faire quand soudain, elle aperçut un homme arriver de derrière Lancel, un homme qu’elle reconnut aisément, son père. Voyant la petite face à un homme, il comprit qu’un incident s’était produit. Sa première réaction fut donc de gifler sa fille.

« Eh bien, tu t’es mise en retard, encore une fois, petite sotte. J’ose espérer que tu n’as pas ennuyé ce monsieur ? Peut-être te demandait-il son chemin ? Réponds, insolente ! »
« Non, P… Père.. » bredouilla l’enfant.
« Excuse-moi ? »
« Non, Père.. » répéta Shamee plus fermement. « Ce monsieur ne me demandait pas son chemin. Je l’ai bousculé. »

Les larmes s’écoulèrent alors sur ses joues, elle savait pertinemment ce que cet aveu lui coûterait, mais elle avait aussi appris que le mensonge n’était pas une option. Son père le découvrait toujours. Voyant ses larmes, il la gifla pour la seconde fois en quelques minutes.

« Cesse de pleurer, que va penser cet homme de toi, mal élevée ! Veuillez excuser ma fille, » ajouta-t-il en se tournant vers Lancel. « Elle n’est bonne à rien depuis ce matin. Mais elle sera punie dès que nous rentrerons. »

Alors qu'il se sentait mort depuis des jours, la simple vue d'une telle injustice, d'un géniteur levant la main sur son enfant, réveilla en Lancel un sentiment. Il croyait ses sentiments décédés avec son coeur. Pourtant, c'était bien de l'indignation et de la rage qui parcourait son être. Il garda son masque, afin de ne pas porter plus de préjudices à la petite fille, vu le genre de père qu'elle avait, tout pouvait être interprété de travers pour avoir une fausse excuse pour la battre à nouveau.

« Veuillez excuser ma fille. Elle n’est bonne à rien depuis ce matin. Mais elle sera punie dès que nous rentrerons. »

« N'en faites rien, Messire. Votre fille n'est en rien coupable de notre altercation. J'étais perdu dans mes pensées et je ne faisais guère attention à mon chemin. Si quelqu'un devrait être puni, c'est moi-même, pour mon inattention ainsi que pour l'avoir retenue trop longtemps alors qu'elle était attendue ailleurs. »

Puis s'adressant à l'enfant avec un sourire chaud et sincère:

« Je te présente à nouveau mes excuses pour t'avoir bousculée et je t'en présente d'autres pour t'avoir mise dans l'embarras. »

Il remercia encore sa mère pour lui avoir enseigné toutes les subtilités des bonnes manières. Tout comme il remercia son père que de lui avoir appris quand sortir une épée sans crainte de conséquences fâcheuses pour des innocents. Si cela n'avait tenu qu'à lui, il aurait coupé l'homme en deux.

Le père de Shamee leva un sourcil devant l’individu et Shamee comprit aussitôt que, de son point de vue, ce n’était pas un homme des plus sérieux, ni des plus convenables à fréquenter. Un homme qui la défendait alors qu’elle avait mis la famille au déshonneur devant un étranger par son comportement léger ne pouvait être quelqu’un de bien. Renonçant à argumenter avec l’individu, il se contenta d’un nouvel ordre.

« Shamee, porte ces légumes à ta mère ! Ensuite tu balaieras cette cour qui est particulièrement repoussante ! »
« Oui, Père ! »

Elle partit précipitamment vers l’intérieur de la maison, ayant juste le temps d’entendre son père saluer l’individu avant de rentrer à son tour.

« Encore navré pour les désagréments occasionnés par ma fille. Je vous souhaite une bonne journée, Monsieur. »

Shamee déposa le panier à sa mère à qui elle expliqua rapidement la situation. Compatissante, mais impuissante, celle-ci lui bisa le front avant de la laisser repartir. Quelques minutes plus tard, Shamee ressortait, le balai à la main et elle entreprit le balayage de la fameuse cour.

=>Le tournant de la vie

Lancel observa l'enfant avec une pointe de tristesse dans le coeur. Il ne pouvait hélas rien faire pour lui venir en aide. L'aider, ça aurait été la condamner un peu plus. Le chemin des Sept Enfers était pavé de bonnes intentions, et Lancel ne se sentait pas l'âme d'un paveur. Surtout que cela serait pavé le chemin pour cette pauvre fille innocente. Le père de celle-ci ne voulait rien entendre et devait le voir comme un illuminé. Son regard croisa le sien l'espace d'un instant. Il lui adressa un léger sourire triste avec un hochement de la tête pour la saluer avant de reprendre sa route. Autant ne pas s'attarder. Sinon, la faute retomberait encore sur la petite et Lancel ne pouvait s'y résoudre. Il entama donc sa marche, sous la pluie qui s'était calmée, ce n'était plus qu'une pluie toute fine qui atteignait à peine le sol. Au moins, la demoiselle ne serait pas trop trempée. Ou en tout cas, pas plus.

C'est la fin, retiens ton souffle